EP18 S01 : Professeur-documentaliste, ou l’ignoré de l’établissement

Il est parmi les personnels les moins considérés de l’Éducation nationale, vu comme illégitime ou dispensable pour une partie de ses collègues, et pourtant sa présence dans l’établissement répond à des besoins profonds. En quoi les professeurs-documentalistes sont-ils un élément fondamental de chaque établissement scolaire ?

2nd degré.

Synthèse de l’épisode.

  • Indispensable 1 : CDI pour Centre de Documentation et d’Information, aussi connu sous le nom de CCC pour Centre de Connaissances et de Culture. Un espace exclusivement réservé au 2nd degré, collèges comme lycées, peu importe les filières et les systèmes. Dans le 1er degré, il y a bien une salle de bibliothèque, il y a bien un accès aux livres pour les écoliers, mais il n’y a pas de professeur-documentaliste.

Une histoire du futur CDI

Le Centre de Documentation et d’Information que l’on connaît a d’abord existé sous forme de bibliothèque de classe ou bibliothèque de l’enseignant. Jusqu’en 1945, il y avait encore peu de possibilités documentaires dans les établissements, d’où une simple bibliothèque à disposition, en général dans la classe même. C’est en 1950 que les premières Bibliothèques Centrales des Lycées (BCL) apparaissent, poussées par la massification de l’enseignement et les effectifs d’élèves qui explosent, donc tout une réorganisation à suivre pour tenir compte des nouveaux besoins. 1958 arrive avec un nouveau changement : les Bibliothèques Centrales des Lycées deviennent des Centres Locaux de Documentation Pédagogiques (CLDP). Autrement dit, c’est le berceau de notre CDI actuel.

Les évolutions suivent : d’une bibliothèque « classique », on passe à un centre de ressources d’abord tenu pour les enseignants puis ouvert pour tout le reste de l’établissement. La loi d’orientation de 1989 officialise par ailleurs le statut de professeur-documentaliste via la création d’un CAPES Documentation, avec notamment les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) comme champ de compétence principal.

Qu’est-ce que le CDI actuel ?

  • Un espace accessible à tous avec un accès à des ressources sur format papier autant que numérique pour des travaux de classe ou pour le plaisir ;
  • Un espace pédagogique de travail en autonomie autant que de travail de groupe ;
  • Un espace de rencontres et d’échanges.

Les bases du professeur-documentaliste

Trois axes principaux sont inscrits dans leur dernière circulaire de missions, celle-ci datant de 2017. On y retrouve à la fois un enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias, ensuite un maître d’œuvre de l’organisation des ressources documentaires de l’établissement et de leur mise à disposition, et enfin un acteur de l’ouverture de l’établissement sur son environnement éducatif, culturel et professionnel ; en clair, des missions à la fois pédagogiques et éducatives.

Tout comme le CDI est un lieu particulier puisqu’il est souvent situé au centre même de l’établissement pour être repérable et accessible à chacun, le professeur-documentaliste n’est pas un professeur comme les autres. Il n’est pas professeur de discipline, il n’a pas de classe attitrée mais en même temps, il enseigne quand même aux élèves puisqu’il travaille avec ses collègues de discipline.  Même si ses heures d’enseignement ne figurent dans aucun emploi du temps définitif sur un Espace Numérique de Travail (ENT), ce sont bien 36 heures hebdomadaires qu’il a dans son contrat : 30 heures d’information et de documentation au CDI, et 6 heures restantes dédiées aux relations extérieures.

Tout professeur-documentaliste qui travaille dans l’enseignement public passera un CAPES Documentation, celui de l’enseignement agricole se tournera vers le CAPESA Documentation, et celui de l’enseignement privé trouvera le CAFEP CAPES Documentation, ou le CAER Documentation. Il est également intéressant de noter que le peu de postes offerts sur les concours de l’Éducation nationale se retrouve dans le concours Documentation aussi. Tous concours Documentation confondus du public, il y avait 206 postes offerts en 2011, 250 en 2014, 412 en 2016 puisque tous les concours étaient ouverts, 170 en 2019 et 160 en 2021. Dans le privé, CAFEP CAPES et CAER réunis, il y avait 45 postes offerts en 2011, 61 en 2014, 63 en 2016, 52 en 2019 et 46 en 2021. 2022 offre finalement 150 postes pour tous les concours du public, et 42 postes dans les concours du privé.

Le prof-doc de l’agricole ?!

Encore une fois, c’est l’enseignement agricole qui change la perception d’un métier, créant ainsi des disparités entre un même métier qui n’appartient pourtant pas au même ministère ! En effet, d’abord bibliothécaires documentalistes puis chargés de fonctions de documentation et d’information, les professeurs-documentalistes de l’agricole ont commencé à assurer des heures de cours à leurs élèves à partir de 1982, soit bien avant la création du concours. Deux ans plus tard, les heures de documentation apparaissaient officiellement dans les programmes scolaires, et c’est en 1989 que les heures d’info-doc deviennent une discipline à part entière.

La matière « info-doc » étant reconnue comme une discipline, ses heures sont définies en fonction des modules de la formation, donc forcément les heures sont réparties sur un emploi du temps officiel. Le professeur-documentaliste ne se base pas sur un programme en soi mais sur un référentiel, et comme les élèves sont soient des élèves de bac pro, soit des BTS, il y a des CCF à faire passer. Ces contrôles continus de formation existent aussi dans la matière info-doc, et c’est bien le professeur-documentaliste qui les organise et les fait passer. Et puisque la matière est une discipline à part entière, le collègue assiste aux conseils des classes et remplit un bulletin comme chaque autre enseignant de discipline. Tout ceci en gardant à l’esprit que la gestion du CDI reste la même et qu’il n’y a pas de décharge d’heures ; le professeur-documentaliste de l’enseignement agricole doit à la fois assurer ses heures de cours à toutes les classes concernées tout en maintenant le CDI comme un espace d’apprentissages et d’accueil de chacun.

Malmené… ou ignoré, y a le choix !

C’est ici que l’on voit à quel point le professeur-documentaliste est encore mal considéré et ses missions encore peu reconnues. Les primes en sont un début : pas de prime d’Indemnité de Suivi et d’Orientation des Élèves (ISOE) puisque celle-ci concerne les professeurs de discipline et les professeurs principaux. Il existe certes un équivalent pour le professeur-documentaliste, qu’on appelle l’Indemnité de Sujétions Particulières (ISP), mais elle a tout de même 200€ d’écart avec l’ISOE… encore que cet écart n’a pu être réduit que par la force des revendications. Pas de prime d’équipement informatique, tout comme les CPE, et pas d’HSA ou d’HSE. En revanche, les IMP sont accessibles, notamment pour être référent culturel ou référent informatique, mais pas que.

À noter : du fait que la matière « info-doc » ne soit pas reconnue par le Ministère de l’Éducation nationale, il ne peut y avoir aucune inspection propre à la discipline Documentation. Les inspections sont donc assurées par des IPR Établissement et Vie Scolaire (IPR EVS). Et parce qu’il n’y a pas d’inspection, il ne peut pas y avoir d’Agrégation Documentation non plus, et inversement.

Maltraitance du professeur-documentaliste en quelques exemples :

  • Devoir courir partout et courtiser les collègues de discipline pour amener les classes dans le CDI, pour proposer des projets ou juste pour assurer des heures d’information-documentation
  • Lui demander d’assurer des missions en dehors de sa circulaire parce qu’on pense que c’est à lui de le faire, ou parce qu’on a soi-même pas le temps ou l’envie de le faire (ex : couvrir ou distribuer les manuels des élèves, qui fonctionne aussi pour la Vie Scolaire)
  • Au collège, la Vie Scolaire qui lui demande de surveiller des élèves ou de les prendre sur les trous d’emploi du temps parce qu’il y a trop de monde dans les salles de permanence ou parce qu’il manque des places, y compris lorsqu’il est en pleine séance.
  • Utiliser le CDI en son absence, ce qui en soit n’est pas un problème quand l’espace est respecté et qu’on a pris le temps de l’avertir ou de lui demander sa permission.

On y retrouve aussi une question de budget : le professeur-documentaliste doit assurer la gestion du fonds documentaire, renouveler les offres de romans, de bandes-dessinées, de manuels, de revues et ouvrages, de matériel et de stock. Comment renouveler les fonds lorsque les adjoints-gestionnaires disent ne plus avoir le budget nécessaire ? Disent que toute l’enveloppe allouée au CDI a été dépensée ? Qu’il y a déjà suffisamment de réserves au CDI pour en racheter ?

Plus loin encore, c’est une question de reconnaissance et de légitimité. Son titre de professeur ne fait pas l’unanimité auprès des professeurs de discipline, des familles, des élèves eux-mêmes et de la hiérarchie, de même que sa légitimité à assurer des missions pédagogiques autant qu’éducatives. Pourtant, il est autant professeur que bibliothécaire. Hélas, c’est sans surprise que le professeur-documentaliste déjà peu mis en avant ne reçoit pas toutes les communications de l’établissement, parce que dans les envois de mails il ne figure pas dans la liste des profs. On l’oublie dans les mails, on l’oublie dans les discours, on l’oublie jusque dans les paroles du Ministre en personne… et quand ce n’est pas ça, il est réduit à un collègue inférieur, à un exécutant pour ses autres collègues de discipline ou la hiérarchie. Ou encore on s’attribue ses projets et ses temps de veille, sans jamais le citer, et on prend les honneurs à sa place.

La contradiction s’opère alors ainsi : d’un côté, on malmène le professeur-documentaliste, on le réduit à peau de chagrin, mais de l’autre côté… on attend du CDI que ce soit l’endroit le plus dynamique de l’établissement, surtout aux alentours des portes ouvertes. Mais dans quelles mesures peut-on attendre ça quand on n’y met pas le budget, l’investissement, l’intérêt, la coopération qui va avec ? Toutes ces disparités dans le traitement des profs-docs contribuent en quelque sorte à cette crise d’identité qui les tenaille depuis la création de leur statut en 1989. Que sont-ils ? Des professeurs ? Des gestionnaires ? Des bibliothécaires ? Pédagogie, gestion ?

Vers une revalorisation du prof-doc

Première étape… en quoi est-il un élément fondamental ? Dans un contexte de réussite pour tous et d’égalité des chances, le CDI permet à tous les élèves d’avoir au moins un accès à la culture, à un espace de travail. S’ils n’ont pas la possibilité d’aller en bibliothèque, en médiathèque ou d’acheter parce que les revenus familiaux sont modestes, les élèves ne seront pas pénalisés pour autant. Encore faut-il qu’ils aient des temps libérés dans leur emploi du temps pour venir au CDI, c’est pour ça qu’il y a des trous d’ailleurs. Pour qu’ils puissent travailler dans l’établissement même, que ce soit au CDI, ou en salle d’étude.  

De plus, les élèves qui viennent travailler ou qui cherchent des choses en particulier, un livre ou un manuel, une référence ou qui ont même juste une question… c’est vers le professeur-documentaliste qu’ils peuvent se tourner. Cette présence est non seulement indispensable pour maintenir le cadre calme et studieux, mais aussi pour guider ou accompagner les démarches des élèves qui viennent travailler. Pour du travail ou pour de l’orientation, pour du réconfort ou des conseils de lecture…

Deuxième étape… quel est l’intérêt de l’Éducation aux Médias et à l’Information (ÉMI) dont ils sont les référents dans l’établissement ? Dans notre ère tout numérique, ces cours apparaissent comme une nécessité pour prévenir ou comprendre les dangers, les risques et les évolutions qui exigent qu’on s’adapte à vitesse grand V. C’est important de permettre aux élèves d’apprendre à faire la différence entre les informations officielles et les intox, les complots, à différencier une image authentique d’un deep fake. C’est important de leur expliquer tous les dangers, les risques et les recours s’ils doivent se défendre face à une injustice ou un délit, un crime numérique. La Toile n’est pas un monde sans risques, on le sait pertinemment.

En somme, l’ÉMI doit leur donner les éléments de compréhension sur où ils mettent vraiment les pieds, pour qu’ils puissent ensuite poster en toute conscience des dangers et des recours. Dans la mesure où toutes les familles ne sont pas en mesure de garantir à leurs enfants une éducation et une attention sur le sujet, souvent parce qu’elles sont aussi dépassées, désemparées et ignorantes qu’eux, l’École a le devoir de prévenir les élèves, et par extension, d’agir au niveau des familles elles-mêmes.

Troisième étape… Comment le remettre en avant et lui permettre d’exister sans se sentir illégitime ?

  • Permettre une forme de tutorat dans le CDI ?
  • Même s’il ne peut pas être professeur principal, ça ne lui interdit pas d’accompagner la démarche d’orientation des élèves : il peut faire plus qu’avoir un rayon orientation dans le CDI, il a les outils, l’écoute et le contact avec les élèves, autant que les professeurs de discipline.
  • Inconnu au bataillon hors Éducation Nationale ? Lui redonner une place auprès des familles : qu’il puisse rencontrer les parents, créer des liens avec eux à l’occasion d’orientation, ou de projets qui invitent les parents à participer. Informer les parents de sa mission d’éducation aux technologies de l’information et de la communication.
  • Lui redonner des heures plus conséquentes pour l’ÉMI et les co-interventions en EMC avec ses collègues d’Histoire-Géographie-EMC, voire créer la matière « info-doc » pour l’enseignement public et privé, pour suivre l’exemple de l’enseignement agricole.

Toutes ces pistes prennent du temps, nécessitent de l’investissement, de l’écoute et de la compréhension, de la tolérance et de l’intérêt pour une autre discipline, mais y a-t-il quelque chose d’insurmontable là-dedans ? En particulier lorsque le professeur-documentaliste est un professionnel à même d’enseigner parmi ses autres collègues de discipline ?

L’hôtesse donne son avis personnel

Je passais déjà pas mal de temps au CDI, mais il y a une période que je garde plus en tête que le reste ; le lycée et mon refuge de la pause méridienne. Trois années à rencontrer régulièrement les deux professeurs-documentalistes, des femmes souriantes et merveilleuses qui m’ont aiguillé, écouté, conseillé, encouragé. À tel point que j’ai hésité un moment sur la possibilité de passer le CAPES Documentation, avant de me rendre compte que courir et courtiser les collègues pour les avoir au CDI, je risquerais de ne pas trop aimer.

Malgré tous ces beaux souvenirs et ce baume au cœur, il y a tout de même un élément qui ressort de ma scolarité, un élément qui me chiffonne : sur mes quatre années de collège, mes trois années de lycée et mes deux années de BTS, je n’ai dû avoir qu’une dizaine de temps de travail avec les professeurs-documentalistes, si ce n’est moins. Je dis temps de travail, car je n’ai jamais eu d’heure de cours avec eux, mis à part la présentation du CDI et des outils. Des travaux où les professeurs-documentalistes accueillaient la classe au CDI, oui, en français, en histoire-géographie, en éducation musicale, en économie… mais pas d’heure de cours à proprement parlé.

Comment ne pas voir autre chose que le simple aspect de « documentaliste » et pas celui de « professeur » quand il n’y a pas de contexte de cours, d’apprentissage avec une prise en charge par le professeur-documentaliste ? Ce constat me fait dire qu’il y a encore du progrès à faire pour réintégrer le collègue dans sa légitimité entière d’enseigner. Et d’un autre côté, on a des heures disciplinaires qui se perdent pour des heures de projets, comment donner plus d’heures au CDI dans ce cas-là, quand on manque déjà cruellement d’heures pour finir un programme ? Non, ce n’est pas si simple, et les solutions ne courent pas les rues…

Question pour la fin : Pourquoi ne pas aligner les professeurs-documentalistes de l’Éducation nationale sur ceux de l’agricole ?

Prochain rendez-vous à noter dans l’agenda ? C’est pour le vendredi 11 février. Un demi-tour vers le 1er degré, on a encore une histoire de règlement intérieur et de 1er pas vers la citoyenneté à décortiquer à la loupe !

Porte-toi bien et ne baisse pas les bras.

ÉP18 S01 Anchor

L’épisode est disponible ici

Sources et documentation

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